Les noyaux « exotiques » lancent le défi d’une description universelle de la structure nucléaire et soulèvent la question de l’origine de l’évolution de la structure en couches de noyaux. Une équipe de l’Irfu a développé le projet MINOS (Magic Number Off Stability) visant à répondre à ces questions. Un programme de physique a été établi en collaboration avec des équipes japonaises de RIKEN dont le RIBF (Radioactive Isotope Beam Factory) est l’accélérateur le plus performant mondialement pour produire des noyaux riches en neutrons à des énergies intermédiaires de plusieurs centaines de MeV. Les expériences avec le détecteur MINOS ont débutées en 2014 et leurs premiers résultats viennent d’être publiés dans Physical Review Letters couronnant 5 années d’efforts et ouvrant la voie à une moisson de résultats passionnants dans les années à venir.
Dans les noyaux atomiques, les interactions entre nucléons sont à l’origine de la « structure nucléaire » et de phénomènes qui dépendent, en partie, de l’asymétrie des nombres de protons et de neutrons. La structure nucléaire, telle qu’on la connait de nos jours, a été établie principalement par l’étude des noyaux stables. Les noyaux « exotiques » différents des noyaux stables par leur asymétrie neutron-proton et/ou leur faible énergie de liaison, permettent donc de renouveler les conditions d’étude. De façon analogue à la physique atomique, les nucléons (protons ou neutrons) dans le noyau occupent des orbitales ordonnées. Cet agencement des orbitales n’est pas universel pour tous les noyaux. On a déjà observé des différences entre noyaux stables et exotiques, qui traduisent des corrélations différentes entre les nucléons. Ces différences sont exacerbées à l’approche des driplines, la limite d’existence des noyaux pour des asymétries proton/neutron très inhabituelles: c’est le cas des peaux et halos de neutrons avec des corrélations dites « di-neutrons ».
Les noyaux exotiques soulèvent des questions fondamentales:
Une équipe de l’Irfu composée de techniciens, ingénieurs et chercheurs des SACM, SEDI, SIS et SPhN a bâti le programme MINOS visant à répondre à ces questions. Un programme de physique a été établi en collaboration avec le RIKEN Nishina Center. Aujourd’hui RIKEN avec le RIBF (Radioactive Isotope Beam Factory) est l’accélérateur le plus performant mondialement pour produire des noyaux riches en neutrons à des énergies intermédiaires de plusieurs centaines de MeV.
Les premières questions de physique auxquelles la collaboration s’est attaquée sont
MINOS est un nouvel instrument composé d’une cible d’hydrogène liquide très épaisse refroidie à 20 K et d’une chambre à projection temporelle cylindrique entourant la cible [2]. Le système est hébergé par le RIKEN Nishina Center. Une vue schématique de MINOS est présentée ci contre où la cible a une épaisseur de 150 mm. Alors que la section efficace de réaction nucléaire typique est de 1 barn (10-24 cm2), l’épaisseur de la cible de MINOS (6. 1023 atomes d’hydrogène par cm2) correspond environ au libre parcours moyen d’un noyau du faisceau, impliquant que chaque particule du faisceau a une très grande probabilité d’induire une réaction nucléaire avec un noyau de la cible. La cible a l’avantage de présenter une géométrie « ouverte », libre de tout matériau absorbant sur un très grand angle solide et peut être ainsi entouré efficacement de systèmes de détection. Une telle cible ne pourrait généralement pas être utilisée telle quelle dans des expériences de physique nucléaire car trop épaisse, à la fois en terme de perte d’énergie dans la cible et d’extension spatiale. C’est pour cela qu’une chambre à projection temporelle basée sur la technologie Micromegas a été développée à l’Irfu. L’objectif de la TPC est de détecter des protons issus de réactions nucléaires d’éjection de protons dites (p,2p) qui ont lieu dans la cible et de déterminer l’endroit précis de la réaction grâce à la détection de la trajectoire de ces protons.
La résolution spatiale obtenue par MINOS est de 4-5 mm (largeur à mi-hauteur) pour une efficacité meilleure que 90%. Les données de MINOS sont lues par une électronique dédiée basée sur la puce AGET. Le système a entièrement été développé à l’Irfu. Il est opérationnel au Radioactive Isotope Beam Factory (RIBF) de RIKEN, Japon, depuis 2014.
Programme de physique visant à effectuer la première spectroscopie de noyaux riches en neutrons couvert par SEASTAR. Les 2/3 de ce programme ont été effectués avec succès en mai 2014 et mai 2015.
La collaboration SEASTAR (Shell Evolution And Search for Two-plus energies At the RIBF) dont l’Irfu et le RIKEN Nishina Center sont porte-parole vise à effectuer la première spectroscopie gamma des noyaux les plus exotiques atteignables aujourd’hui, en se basant sur l’exploitation de MINOS couplé au détecteur de photons DALI2 au RIBF. La collaboration regroupe plus de 100 collaborateurs dans le monde. Le programme de SEASTAR avec MINOS est illustré sur la figure ci-contre. Le premier résultat obtenu avec MINOS vient d’être publié dans Physical Review Letters [2]. Il concerne la spectroscopie des 66Cr, 70,72Fe. L’expérience a montré que les isotopes de Cr et Fe riches en neutrons présentent des premiers niveaux excités très bas en énergie dont l’énergie d’excitation varie peu d’un isotope à l’autre. Ce plateau est interprété dans le modèle en couches comme un effet combiné de la déformation et des corrélations d’appariement. Il soulève la question de la robustesse du nombre magique nucléaire N=50 pour les isotopes de Cr et Fe, dans la région de 78Ni, noyau attendu doublement magique par le modèle en couches.
Références des publications
Contacts: Anna Corsi, Alexandre Obertelli, Clémentine Santamaria
Ce fait marquant a fait l'objet d'un communiqué de presse CEA/CNRS/Universités/Riken
Voir aussi l'actualité sur la validation du trajectographe en 2014.
A propos du modèle en couchesDans le noyau, la structure nucléaire est régie par l’interaction nucléaire entre les nucléons et dépend notamment des nombres de protons et de neutrons. Un modèle de structure nucléaire dit ‘en couches’ a été mis au point dans les années 40-50, grâce à l’étude des noyaux stables. Dans ce modèle, les nucléons sont rangés sur des niveaux d’énergie bien définis (appelés orbitales) de façon analogue aux orbitales es électrons dans le modèle atomique. Pour certaines combinaisons des nombres de neutrons et protons, un noyau est particulièrement sable en comparaison de ses voisins lorsque des ensembles d’orbitales (les couches) sont entièrement remplies. Il est alors plus difficile à exciter et on parle dans ce cas de noyaux ‘magiques’.Les nombres magiques de nucléons pour les noyaux stables sont 2,8,20,28,50,82,126. Par exemple, l’isotope de calcium 48Ca (Ca : 20 protons, et 48 nucléons-20 protons = 28 neutrons) est un noyau « doublement magique » car il a un nombre magique de protons (20) et un nombre magique de neutrons (28).Le modèle en couches traditionnel établi avec les noyaux stables est remis en cause lorsqu’on étudie les noyaux radioactifs, aussi appelés ‘noyaux instables’. De fait, les nombres magiques de protons et neutrons ne sont pas les mêmes pour les noyaux stables que pour les noyaux instables. Les mécanismes responsables des nombres magiques sont encore mal compris et une description universelle de la structure nucléaire reste un défi pour les théories modernes. |
• Structure de la matière nucléaire › Noyaux atomiques
• Le Département d'Électronique des Détecteurs et d'Informatique pour la Physique (DEDIP) • Le Département d'Ingénierie des Systèmes (DIS) • Le Département de Physique Nucléaire (DPhN) • Le Département des accélérateurs, de cryogénie et de magnétisme (DACM)
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