Immédiatement après le tir d’INTEGRAL le 17 Octobre 2002, j’ai entamé une réflexion sur les perspectives d’utilisation
du CdTe comme spectro-imageur à rayons X-durs pour les futures missions d’astronomie spatiale à haute-énergie. Ce
travail m’a conduit à réaliser que les limitations spectrométriques d’ISGRI pouvaient être surmontées en axant mes
efforts vers la conception de nouveaux détecteurs à électrodes segmentées en petits pixels. En effet, ISGRI souffre
d’une part de l’utilisation de détecteurs ohmiques de grande taille dont le courant d’obscurité élevé provoque un bruit
électronique important dont la conséquence est une résolution spectrale modeste et un seuil bas relativement élevé.
D’autre part, le courant élevé limite la tension applicable au détecteur provoquant un signal lent et dépendant de la
profondeur de pénétration des photons dans le volume en raison des piètres propriétés de transports des trous dans
ce semiconducteur. Pour autant, du fait de ses propriétés intrinsèques de masse et de densité élevées, le CdTe reste
le candidat idéal pour la détection des rayons X durs au regard de ses concurrents les plus sérieux : le germanium et
le silicium.
En réduisant la taille des pixels, outre l’amélioration naturelle de la résolution spatiale, le courant dans chaque pixel s’en
trouve proportionnellement réduit. Il en va de même pour la capacité parasite présentée à l’entrée des amplicateurs
de charges connectés à chaque pixel. En abandonnant les contacts ohmiques au prot de contacts bloquants de type
Schottky, le courant d’obscurité peut être réduit de trois ordres de grandeurs si les pixels sont sufsamment petits. Ceci
a pour conséquence de pouvoir augmenter considérablement le champ électrique dans le volume du semiconducteur
et d’obtenir des signaux sufsamment rapides pour limiter la perte de charge et la perte balistique et de fait, de rendre
la réponse quasiment indépendante de la profondeur de pénétration des photons dans le volume. Voilà la motivation
initiale à laquelle s’ajoute le fait que les signaux s’induisent différemment dans un détecteur coplanar que dans un
détecteur à petits pixels segmentés où les trous sont écrantés par un champ de pondération désormais favorable.
Bref, une fois n’est pas coutume, la réduction de la taille des pixels n’a que des avantages sur les performances d’un
spectro-imageur. Naturellement, cette volonté de réduire la taille des pixels d’un facteur 100 environ soulève des dés
technologiques importants. C’est ce dé que j’ai relevé ces dernières années et qui a donné naissance au concept de
spectro-imageur miniature Caliste que je présente dans cette Habilitation à Diriger des Recherches.
François Lebrun, responsable scientique d’ISGRI, également mon directeur de thèse, m’a formé dans l’idée que la
résolution et le seuil sont des gages de sensibilité et doivent faire l’objet d’une attention particulière. C’est tout le sens
de mon travail ces 15 dernières années. Mon objectif était donc très clair : passer la résolution spectrale de 6 keV à 60
keV à moins de 1 keV.
Pour relever ce dé, j’ai abordé de front la conception d’un système entièrement nouveau prenant en compte l’étude
des détecteurs CdTe Schottky à anode segmentée, l’électronique intégrée optimisée pour la lecture de ces détecteurs
particuliers, la conception de l’hybridation de l’un avec l’autre et la qualication spatiale de l’ensemble. J’ai constitué
une équipe transverse SAp et SEDI, grâce au soutien d’Eric Delagnes, Philippe Lavocat et Philippe Rebourgeard qui
nous ont permis de démarrer le développement d’IDeF-X, un ASIC conçu par Olivier Gevin et Francis Lugiez dans le
but de réaliser des préamplicateurs de charges ultra-bas bruit pour la mesure de signaux faibles issus de pixels dotés
d’un courant d’obscurité de moins de 10 pA et d’une capacité totale de l’ordre de 2 pF. Nous avons alors démontré
qu’il était possible d’obtenir des niveaux de bruit très faibles conduisant à une résolution spectrale de 1 keV à 60 keV
sur des diodes à un pixel. Rapidement, j’ai obtenu le soutien du CNES, tant pour le conancement de thèses en instrumentation
spatiale que pour le nancement d’activités de développements technologiques. Nous avons alors abordé
la conception de nouveaux circuits microélectroniques plus avancés, multicanaux et dotés d’une chaîne complète de
spectrométrie. Nous avons alors construit nos premières matrices de petits pixels au pas de 1mm et élaboré la preuve
de notre concept dans une conguration de laboratoire (Thèse de Bob Dirks). Ma rencontre avec la société 3D plus a
permis de démarrer le projet Caliste en 2004. C’est un tournant majeur puisque j’ai identié une solution technologique
3D sur laquelle nous pouvions travailler pour produire un spectro-imageur miniature permettant l’assemblage direct de
détecteurs CdTe pixélisés avec une matrice de chaînes électroniques installées dans un composant hybride modulaire,
10 – Habilitation à Diriger des Recherches
qui plus est, bâti sur quelques technologies éprouvées dans le domaine spatial. C’est en 2007 que nous avons sorti
notre premier prototype Caliste-64. Les performances étaient au rendez-vous et nous sommes allégrement passés
sous la barre d’1 keV à 60 keV sur matrice de 1cm2 avec des pixels de 1mm de côté. La caractérisation complète du
dispositif (Thèse d’Aline Meuris) a permis d’optimiser la conception du prototype suivant, Caliste-256, doté d’une
nouvelle version de l’électronique frontale, programmable cette fois, et de pixels encore plus petits, 580μm. Nous
avons achevé ce prototype en 2009 et révélé des performances excellentes en matière de résolution spectrale (850eV
FWHM à 60 keV) et de seuil bas (1.5 keV). Cet objet fut mis en avant lors des phases initiales de développement du
projet SIMBOL-X, abandonné depuis. Nous avons, avec le soutien de l’Irfu, poursuivi notre développement pour créer
Caliste-HD. Ce dernier module pixélisé a vu le jour en 2011 avec une ultime version d’IDeF-X. Le but était cette fois non
seulement de réduire encore le bruit électronique mais de revisiter la conception de la chaîne pour minimiser la puissance
électrique totale et de simplier l’interface électrique en vue de réaliser un démonstrateur de plan focal sur lequel
huit modules sont juxtaposés (MACSI). A nouveau les performances ont été améliorées et la résolution spectrale a atteint
666eV à 60 keV, un record. Ce détecteur, unique en son genre, a subi les essais de qualication permettant de lui
attribuer un TRL6, le niveau de maturité le plus élevé que l’on puisse espérer d’un sous-système spatial encore au sol.
Finalement MACSI est une caméra de 2x4 cm2 couverte de 2048 chaînes de spectrométrie à haute résolution spectrale.
J’ajoute que ce détecteur de photons uniques est capable d’une précision de datation de l’ordre de la 100aine de
nanoseconde. Il aurait nalement respecté le cahier des charges ambitieux de SIMBOL-X pour lequel nous l’avions imaginé.
Puisque ceci n’arrivera pas dans ce contexte, je me suis employé à promouvoir notre technologie dans d’autres
domaines d’applications et notamment en Physique Solaire. C’est ma rencontre avec Säm Krucker qui nous permettra
d’obtenir notre place à bord de STIX, un spectro-imageur X dur dédiés à l’observation des éruptions solaire, qui sera
placé en orbite en 2018 dans la charge utile de la mission ESA Solar Orbiter.
Entrés en phase B du projet, nous avons développé en un temps très court un module dédié à la géométrie particulière
de STIX dont le principe d’imagerie repose sur la modulation du ux de photons par des masques à transformée de
Fourier. Entre 2011 et 2015, nous avons conçu, produit et qualié les 100 modules de qualité vol avec le soutien du
CNES, de FHNW et les moyens industriels de 3D plus. Aujourd’hui les premiers équipements de vol sont en cours
d’assemblage et il est temps d’aborder l’avenir par de nouveaux travaux de R & D.
C’est ce que j’ai entrepris de faire en proposant le projet MC2 pour Mini CdTe on Chip, qui repose simplement sur la
volonté de poursuivre la réduction de la taille des pixels. Cette fois, je vise un pas inférieur à 300μm, avec un bruit
électronique si faible que la résolution spectrale à 60 keV atteindra 500eV. Cette spécication technique très difcile
pose un dé incroyable en microélectronique. Olivier Gevin et Alicja Michalowska ont réalisé des prouesses en concevant
le circuit D2R1 dont les premiers pas sont très encourageants, aussi bien en matière de bruit que de tenue aux radiations.
Lors des 5 prochaines années, je m’assigne la mission de réaliser un nouveau module intégrant ce composant
ultra dense dans une unité de détection dont l’interface sera entièrement numérique.
Pour conclure, je veille aux retombées scientiques comme sociétales de nos travaux en participant à de nombreux
projets qui nous conduiront encore dans l’espace, à n’en pas douter. |